Le dépeuplement de soi

Larvoratoire photographique "Forêts trop humaines"Douarnenez // Bretagne // France // 2020
Figure énigmatique et intense de la création internationale de l’art vidéo, d’origine andalouse, auteure, réalisatrice, monteuse, performeuse, manipulatrice et compositrice sonore, la fascinante création d’Isabel Perez Del Pulgar est diffusée dans tous les événements et festivals consacrés à l’art-vidéo qui comptent dans le monde.C’est cependant la première fois qu’Isabel, durant plusieurs semaines, fait l’objet d’une exposition de son travail vidéographique dans une galerie en Europe, à Douarnenez, si l’on excepte les 3 jours exceptionnels qui lui ont été consacrés dans le cadre des performances hivernales de la scène la Grande Boutique de Langonnet fin 2019.C’est donc une chance inouïe de pouvoir assister quasi en direct à l’apparition d’une œuvre artistique dans le chaos international, de voir surgir le fruit d’un long, patient et exigeant travail, invisible durant de nombreuses années, élaboré par une artiste inclassable, déroutante et radicale.A cette exposition, se rajoute, par bonheur, le fruit d’une courte résidence au Larvoratoire de Douarnenez, qu’Isabel a effectuée en mai 2020, qui lui a permis de renouer avec sa pratique plasticienne de ses débuts, lorsqu’elle pratiquait des collages hallucinés à Grenade.Entre cette époque et aujourd’hui, sa création audiovisuelle est passée par là ! Le résultat des quelques jours d’atelier s’est imposé, donnant lieu à une série de tableaux en totale cohérence avec les vidéos qui sont diffusées en salle dans tous les festivals que comptent la planète : Serbie, Portugal, Grèce, Mexique, Cuba, Colombie, Corée, Allemagne, USA, Espagne, Autriche, Italie, et France.Cette série d’œuvres est dévoilée aux premiers regards cet été. En miroir à ses créations vidéographiques, dont elle s’est inspirée, ces tableaux mixtes rendent compte d’une nouvelle complexité d’Isabel (ou les mêmes mais sous un autre angle). Que peuvent être ces tentatives de réparation, greffées  sur des images vidéographiques recomposées, recollées, comme autant de coutures cicatricielles ? S’agit-il de s’insurger comme lorsque l’on se coud les lèvres quand la violence du monde est trop insupportable ? Ces images cautérisées referment-elles des plaies, ou donnent-elles à comprendre autre chose avec les trouées minuscules qui constellent les arrêts sur images détournés de ses vidéos ? D’autres choses marquantes, comme le patient aller-retour d’une aiguille sur un filet de pécheur, ou des traces, celles qu’Isabel laisse aux poursuivants, dans sa solitude des hauteurs.S’il est difficile de définir ou circonscrire son œuvre, on peut cependant dégager quelques axes, ou quelques fronts qui la caractérisent, si l’on accepte l’idée qu’elle créée sur des frontières, qu’elle fonctionne comme une sentinelle à l’orée de plusieurs Monde.Le premier grand ensemble de son travail (ce dont témoignent Multiples ; Liquide ; Misterium II ; l’Usine ; Elemento Inestable) est constitué par des films qui mettent en scène le corps humain, et pas n’importe quel corps puisque c’est le sien. Un corps qu’elle expose, explore, manipule, décompose, un corps en proie aux éléments et aux objets de l’univers. C’est sa signature !Dans ces films où elle se met en scène, solitaire, Isabel est une performeuse entière ou morcelée, découpée, dédoublée ou multipliée, sidérante tant elle fait de son corps, de son visage, de ses mouvements, de sa peau, une énigme pour elle-même.Elle est tour à tour prêtresse ici, chrysalide là (se débattant pour sortir d’un invisible espace emprisonnant, s’extraire d’un piège, (re)naitre), ou mime, ou burlesque ou tragique. Toutes figures qui tentent de comprendre l’ordre du monde et l’envers de l’univers, l’organique, le minéral, le végétal dans lequel les objets ont aussi une âme. C’est pourquoi, de film en film, surgissent sur l’écran, à ses côtés, une foule d’objets qui se mettent à vivre, à (la) questionner, à (la) définir, avec qui elle dialogue : plumes, squelettes d’oiseaux, coquillages, tissus froissés, livres jaunis, branches, miroirs, rideaux, masques, radiographies, comptes-à rebours, escargots, chaises. Tout étant propice au télescopage, aux ruptures des registres, aux accélérations.D’un film à l’autre, le corps incarné joue d’étranges partitions, jamais identiques, des ébats chorégraphiques, des corps à corps, des scènes de luttes, de libération, d’amour, de séduction, tout cela dans l'urgence de remplir des espaces vides au milieu desquels coule une sorte d’angoisse existentielle. On assiste alors à une géométrie des évasions, celles des conditions sociales, corporelles, culturelles, biologiques.Dans ce travail, chercher des filiations au travail d’Isabel relève de la gageure : on pourrait citer Marcel Duchamp, c’est une évidence, et dans la foulée, le dadaïsme (Picabia, Hugo Ball ou Emmy Hennings). Il n’est d’ailleurs pas difficile, à partir de Duchamp, d’évoquer le cousinage d’Isabel avec ce que l’histoire de l’art a cherché à définir dans et par l’art corporel (body art), voire dans et par l’art minimal. C’est cependant un dadaïsme que viendrait déranger parfois le désordre d'un Buster Keaton, ici dans des répétitions burlesques, là dans une chorégraphie surréaliste et déséquilibrée d'Isabel. Faire référence à Duchamp ou à Buster Keaton est cependant réducteur, parce que dans son geste, sa création de vidéaste- cinéaste funambule où elle exerce et fait peser sur son corps (souvent drapé comme le corps d'une reine déchue ou comme l'incarnation de l'histoire invisible des femmes) d'intenses et sidérantes tensions de toutes natures, vieilles comme le monde ou prémonitoires, archaïques ou fantasmatiques, à fleur de peau, à coup de métamorphoses et de tremblements, surgissent également, comme un signe, les ombres, les silhouettes et les âmes de Pina Bausch et d’Ilka Schönbein ! Deux points solaires de sa diagonale.L’autre volet, l’autre horizon qu’elle sillonne, et qui se trouve au cœur de ses recherches récentes en Bretagne, se compose de vidéos et de films qui, pour faire court, traitent de l’espace et traduisent, interprètent et investissent des paysages (Hétérochronies et El bosque dibujado, par exemple). Avec cet autre versant de son œuvre elle opère un saut dans la lumière et dans les éléments, les matières, de manière onirique, fantastique, paroxystique et plus esthétiquement cinématographique. Là, ce sont les roches, l’océan, les ciels remués, l’arbre ou le bois, l’eau stagnante, les marais, la terre, la glaise, sortes de zones autonomes de vie, qui balisent autrement le destin de sa poésie et de sa langue visionnaire. Entre l’errance, les portraits minéraux dont on sent le battement du cœur et la pulsion de vie antérieure à la présence humaine qu’Isabel met à nue, on approche des zones lunaires d’Andrei Tarkovski, à qui font penser dans certains films quelques paysages de bord du monde, d’une beauté de l’au-delà, définitive et rebelle, aux feuilles poussées par le vent, au cerf immobile dans une lumière blafarde, une eau stagnante d'inquiétude, au temps.C’est dans cet ensemble, qu’est née une œuvre récente, « Retorno », magistrale et sidérante, où luttent, s’attirent, se rejettent, se nouent, s’apprivoisent, s’aiment peut-être, le corps d’Isabel et le corps de l’océan, une œuvre qui tout en se singularisant de toutes les autres, pourrait également toutes le contenir. De longues séquences d’une inquiétante étrangeté, qui font penser à Friedrich Wilhelm Murnau, au bord d’un expressionisme qui traverse toutes les époques et tous les genres. Une œuvre sobre qui évoque soit le chaos de la naissance du monde soit le dernier acte de la fin définitive de ce monde, où n’existeront plus jusqu’à la fin des temps que l’inlassable danse d’un corps féminin dans les remous, les flux et reflux de vagues sans fins.Dans tous les cas, les songes erratiques et habités de l'andalouse, métaphoriques ou non, âpres ou crus, empruntent souvent des chemins sombres, vertigineux, mettent en scène l'obscurité de l'âme humaine, n'hésitent pas à longer les contours de la mort, de la cruauté, de la perte.Et quand on comprend le traitement plastique des transitions et des scènes de certaines œuvres on saisit le travail de sape d’Isabel sur les logiques de représentations : elle fracture et détourne l’humanité. Plus elle creuse au fond d’elle-même plus elle interroge notre sens de la gravité.Elle pratique le refus du conformisme, de la routine, elle met en branle l’exercice patient d’un esprit de consumation, le dépeuplement de soi, où ce qui compte c’est de se laisser anéantir jusqu’au tout dernier atome, jusqu’à faire naitre le monde, ou un monde nouveau. Son œuvre a ses rituels, païens, elle y déjoue son image, y pratique la « défiguration volontaire de la femme », jusqu’à ce que tout se résolve en instabilité : instabilité d’identité, instabilité de choses, instabilité des représentations, du temps, des apparences, des usages, du genre...Alors, son œuvre, comme son existence, apparaît comme un manifeste. Un manifeste poétique. Chaque film étant quasi le signe d’une urgence totale, une effraction dans l’apparence des choses pour traduire l’impossible. Ce dont témoignent aussi quelques bribes de textes que quelques fois Isabel pose en présentation de son travail. Dans une vidéo intitulée Peso Muerto, qui met en scène l’artiste avec des chaises, Isabel parle du corps ainsi : « Se traîner comme un poids à vide. Invisible. Coller au corps, à la conscience comme un poids/fardeau symbolique. Décider des actions et des décisions à travers les peurs et les incertitudes. La chaise est tout ce qui uniformise, impose et définit. Les absences et ce qui est perdu. L'objet, loi non-écrite, réduit en esclavage soumet/domine le corps, et celui-là est écrasé et consumé par la charge. Le corps comme sujet et conscience. Représentation d'un moi diffus, artificiel et faux devant l'autre. Un champ d'imposition, abus et soumission. »Dans « Utopie du corps », autre film qui met le corps en scène, Isabel dit de lui qu’il (le corps) est avant tout « le contraire d'une utopie ». Le corps est l'endroit « absolu », « cruel », qui confronte l’âme. Se voit confronter. Mais finalement le corps, « visible et invisible », « pénétrable et opaque », s'avère « l'acteur principal de toute utopie » et seulement se tait devant le miroir, devant le cadavre devant l'amour. Mais c’est aussi Michel Foucault qui peut dresser l’horizon d’Isabel. En exergue à l’un de ses films, elle a retranscrit un extrait de Le corps utopique de Foucault que voici : « Mon corps, en fait, il est toujours ailleurs, il est lié à tous les ailleurs du monde, et à vrai dire il est ailleurs que dans le monde. Car c’est autour de lui que les choses sont disposées, c’est par rapport à lui – et par rapport à lui comme par rapport à un souverain – qu’il y a un dessus, un dessous, une droite, une gauche, un avant, un arrière, un proche, un lointain. Le corps est le point zéro du monde, là où les chemins et les espaces viennent se croiser le corps n’est nulle part : il est au cœur du monde ce petit noyau utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les choses en leur place et je les nie aussi par le pouvoir indéfini des utopies que j’imagine. Mon corps est comme la Cité du Soleil, il n’a pas de lieu, mais c’est de lui que sortent et que rayonnent tous les lieux possibles, réels ou utopiques. C’est ce cadavre, par conséquent, c’est le cadavre et c’est le miroir qui nous enseignent (enfin, qui ont enseigné aux Grecs et qui enseignent maintenant aux enfants) que nous avons un corps, que ce corps a une forme, que cette forme a un contour, que dans ce contour il y a une épaisseur, un poids ; bref, que le corps occupe un lieu. C’est le miroir et c’est le cadavre qui assignent un espace à l’expérience profondément et originairement utopique du corps ; c’est le miroir et c’est le cadavre qui font taire et apaisent et ferment sur une clôture – qui est maintenant pour nous scellée – cette grande rage utopique qui délabre et volatilise à chaque instant notre corps. C’est grâce à eux, c’est grâce au miroir et au cadavre que notre corps n’est pas pure et simple utopie. Or, si l’on songe que l’image du miroir est logée pour nous dans un espace inaccessible, et que nous ne pourrons jamais être là où sera notre cadavre, si l’on songe que le miroir et le cadavre sont eux-mêmes dans un invincible ailleurs, alors on découvre que seules des utopies peuvent refermer sur elles-mêmes et cacher un instant l’utopie profonde et souveraine de notre corps. »
Éric PremelJuillet 2020 

Faire usage de la solitude


Larvoratoire photographique "Forêts trop humaines"Douarnenez // Bretagne // France // 2020
Entrer dans les vidéos d’Isabel par le corps et la solitude La dimension de la solitude dans la vie et le travail d’IsabelDonc, c’est la solitude qui m’a frappée chez Isabel, le fait qu’elle travaille seule, ce qui rapproche sa démarche artistique de celle du photographe (plutôt que du cinéaste qui est presque toujours pris dans une histoire collective), sa relative solitude sociale ici, dans ce paysage nouveau pour elle, mais aussi la solitude au sens d’une singularité totalement irréductible qui traverse son œuvre vidéo, une subjectivité incandescente, rebelle, évidente et sans concession. Isabel a trouvé un univers qui lui est tout à fait propre, une source d’images intérieures qui parait inépuisable. Quand elle est venue en résidence ici, seule au fond de l’atelier avec quelques tirages de ses vidéos et quelques bouts de papier, elle s’est mise à produire ces petits tableaux avec une facilité déconcertante, comme si elle était habitée par une machine créative autonome logée quelque part au fond de son corps.
La mise en scène du corps propreEt c’est aussi le corps qui m’a plu dans l’œuvre d’Isabel. Toutes les vidéos d’Isabel attestent de la présence du corps comme lieu matriciel d’où surgissent toutes les représentations sensorielles (sonores, tactiles, visuelles). Le corps comme résidence fondamentale de l’imaginaire. Nombreux sont les photographes qui travaillent à partir de leur propre corps. Je ne parle pas de la pratique du selfie comme mise en scène de sa propre identité ou histoire, mais simplement de l’utilisation du corps propre comme motif de l’image, au-delà de la représentation de soi ou de sa propre histoire. Utiliser son corps comme celui d’un autre, ou comme celui de personne en particulier, juste un corps humain, féminin, masculin ou pas... peu importe, ou peut-être pas – le genre pouvant avoir son importance.Il y a évidemment une motivation existentielle et psychologique à cela : la présence humaine, celle de l’autre, est absolument signifiante dans notre rapport au monde. On pourrait pourtant utiliser un autre corps, ce serait plus pratique et plus simple. Mais il y a le droit à l’image, et aujourd’hui en Europe, il est devenu difficile de photographier les gens. Et les modèles coûtent cher. Du coup, les photographes sont-ils si souvent amenés à se servir de leur propre corps, parce qu’ils l’ont sous la main et qu’il ne coûte rien ? Étrangement, beaucoup de photographes aujourd’hui mettent en scène leur propre corps dans la nature. Je me demande souvent si le fait que ce soit leur corps - et justement pas celui d’un autre - est un élément accessoire, ou si au contraire il s’agit de quelque chose de substantiel sans quoi l’œuvre ne serait pas la même – et je penche plutôt pour la seconde hypothèse... Même si on utilise son corps comme celui d’un autre, même si on se dit que c’est « faute de mieux », l’utilisation de son propre corps impose une manière d’être à la fois devant et derrière l’objectif qui n’est pas sans incidence sur la nature et le sens de l’image.
Les stratégies d’anonymisation du corpsDonc Isabel travaille avec son propre corps, mais ce n’est pas son corps, c’est un corps comme le lieu source d’une représentation ou d’une sensation. Et ce corps est souvent sans visage, sans individualité psychologique, comme dans la danse où le corps est le vecteur anonyme du mouvement. Plusieurs stratégies d’anonymisation du corps sont à l’œuvre dans les vidéos d’Isabel. Voir le corps de dos, en faire le simple support d’un vêtement, lui attribuer des mouvements mécaniques comme ceux d’une machine, le rendre immobile comme une chose, le filmer de loin comme une silhouette animale, le masquer ou le recouvrir par des objets de toutes sortes (plastique, lampadaire...), lui superposer des images qui l’effacent partiellement(cartes, chiffres, écriture), lui infliger un contraste ou une monochromie qui en fait disparaître les détails, ou bien tout simplement, le multiplier par lui-même de telle sorte qu’il disparaisse en tant que singularité pour n’être plus qu’un motif gestuel. Et par ses stratégies d’anonymisation du corps propre, ou de « dépeuplement de soi » pour reprendre le titre du texte d’Éric Premel, Isabel n’a de cesse d’organiser formellement sa propre invisibilité ou sa propre dissolution.Ce faisant elle parvient à faire monde de sa solitude. A faire paysage à elle seule, à atteindre une forme de généralité existentielle au-delà de la psychologie singulière. Isabel est présente dans la plus grande partie de ses vidéos, et pourtant elle ne parle pas d’elle, elle parle de ce que c’est pour chacun d’entre nous d’avoir un corps, des pulsions des sensations... et d’être à partir de ce corps sentant un lieu de subjectivité, un lieu qui produit des visions, qui projettent des perceptions, un pôle perceptif qui habite un monde en le produisant, où intériorité et extériorité sont mêlées jusqu’à dissolution totale de la pertinence de cette distinction. Le monde n’est ni dedans, ni dehors - et notre corps n’est pas un objet du monde, il en est la source. Isabel parle en ce sens de façon tout à fait directe et fondamentale du geste artistique lui-même.
Faire usage de la solitude Isabel n’est pas seule, elle fait usage de sa solitude, ce qui est assez différent. Elle joue avec elle-même et c’est précisément cette distanciation d’avec soi introduite par le jeu qui permet d’échapper aux lassitudes narcissiques. Jouer avec soi, ce n’est pas si simple. C’est beaucoup de travail et de courage, dans une confrontation à ce qui menace de faire échec, de tomber à plat... C’est se confronter à soi, exposer de l’intime, laisser entrevoir de la nudité, être à la fois au four et au moulin, devant et derrière la caméra, passer du déplacement de tout le barda matériel (pied, caméra, etc.), au patient travail de cadrage, à l’habillage, à la concentration du geste à effectuer, puis retourner derrière la caméra, vérifier le cadre et la lumière, et reprendre quelques minutes le rôle d’accessoiriste, et aussi prendre de la distance pour y croire, imaginer le plan suivant, décider si c’est bon pour aujourd’hui ou s’il faut refaire une prise... et encore : tenir des jours à stocker les rushs, à galérer avec le poids des fichiers, à paramétrer les effets, à monter le son... et enfin recommencer. Il faut une sacrée ténacité pour mener à bien tout cela, chaque jour, pendant des années.Il n’y a pas beaucoup de gens qui s’essaient à faire usage de la solitude, et il n’y a pas beaucoup de gens qui y parviennent.Le travail collectif rend tout cela souvent plus léger, parce que les responsabilités sont partagées, parce qu’on est porté par toute une équipe qui y croit, parce que la dynamique du groupe entraine l’énergie de chacun, parce qu’on est moins exposé et moins nu quand l’œuvre est signée de plusieurs.
Travailler avec les autres Si Isabel travaille souvent seule, si son œuvre est indéniablement habitée d’une réflexion sur la solitude, si elle revendique nettement cette solitude, comme un droit, une fin et comme une dimension non négociable de la jouissance d’exister, elle croise cependant parfois d’autres professionnels dans son travail, occasion de coopérations locales ou temporaires qui, souvent, ne modifient pas de manière radicale l’objet filmique final, celui-ci gardant de manière forte la marque et la signature d’Isabel, la trace repérable de son univers.
Yana O`ConnelleDirectrice "Larvoratoire photographique "

ACCIONES NÓMADAS

Actions nomades
Happe qui entend sa musique en fond hypnotisant, qui sursaute quand elle tonne et se fait d’orage, qui ne vit pas l’accalmie quand elle se fait ambiante, mais ressent une sereine inquietude. Inquietude, c’est le refus du quiet, du tranquille, c’est le mouvement vers, c’est une pensee en acte.
L’espece d’espace ou s’actuent les actions promises par le titre bouge en efet, refuse l’ecran unique, illusion du refet du reel. Il se fait de surimpressions multiples, en les, carres, rectangles, juxtaposes sous le premier tempo puis en frise, multiplies, imbriques, defant le comptage que les premiers afchaient en coin de leur aire dans l’accelerando.Deux branches ouvrent l’oeuvre sur une scansion forte, declenchement de la mise en mouvement. Elle repondent au nomade, au sans pays – autre que le pays de l’œuvre- elles s’imposent en variations, seules ou tenues, transformees par la performeuse, seule mais aussi doublee et triplee au cours de ses actions. Elles echappent au cadrage que subissent la cartographie en concurrence avec la radiographie du corps, main et bras ou jambe.
La femme a la robe noire aussi simple que la chevelure aux cheveux tires et sur laquelle se projette l’imagerie scientifque, ou en tee-shirt simple blanc s’occupe de la branche.La branche seche dont le rameau se partage en deux qui se partage encore comme une fourche, un piege ou une lyre quand des cordes y sont attachees inversement a l’horizontale : instrument que la pretresse fabrique puis manie, sans nom ni invocations a un dieu quelconque. Ensemble ou alternee, elles font signe vers d’autres sens que le premier degre.
Actions nomades les declinent, le rameau branches nues ou encordees, en dimension, en nombre, sur fond blanc ou en surimpression... elle aussi, qui immobile tient haut, sur sa poitrine ses bras croises qu’elle tend ou un bras agrippant l’autre en choregraphie contemporaine, qui assise ou debout agit sans deplacement, qui solarisee en plan poitrine est multipliee avec des eclats de bleu... Impossibilite d’un dire un, polysemie inherente a tout element, implication de lieux fuyants s’emettent en un rebus mouvemente. La carte de la baie dont la rapidite du passage gene la lecture, les membres en radiographie qui tiennent ou qui font agir sans explicitation mais aux formes ecartees ainsi que le branchage, encadres bougent sans bouger grace a l’efet de mouvement par surimpression interne de leur cadre. Ils se repondent en symetrie de part et d‘autre de leur image en efet papillon. Elle est la meme et une autre.
SIMONE DOMPEYRE (directrice Recontres Traverse Video)

LA REINA DE LA CASA

Rrose Selavy, chapeau a voilette, chapeau a plume, visage penche et colliers de perles, le « costume » de la femme elegante, c’est deja Duchamp. Face a l’objectif de Man Ray, ready made vivant, image d’image, metalangue et jeu du dire quand le double R cense eloigner du prenom et de la feur s’en accroche par laprononciation de la velaire, incitatrice de double entente en Eros. Et l’oral des deux termes provoque diverses lectures, outre c’est « Eros/c’est la vie », l’inversion type chanson populaire en la vie en rose...
Inverser les modeles, en surlignant les actes, si la modele masculin, impose force, determination, yeux secs, sans maquillage- du moins en notre Occident actuel- le modele feminin, cense de douceur et de fnesse, impose elegance, sourire et pleurs et femme au foyer. Les codes traditionnels faisaient la femme, la designant comme la reine de la maison ou autre fee du foyer, embellissant par la, des taches trop domestiques pour etre devolues a l’homme.Isabel Pérez del Pulgar mene une action de deminage de tels modeles imposes. Elle n’adhere pas davantage a un modele performatif, preferant en decliner plusieurs : la sculpture vivante avec objet, la gestuelle domestique faussement acceptee, l’enlevement d’un costume eminemment contraignant, variante de son META_W puisque si le genre n’est qu’une forme, refuser la forme imposee s’est se faire soi, toujours recommencee. Se Faire.
Elle pervertit l’espace de la salle a manger canonique avec son bufet et sa table et des objets de decoration non en surjouant la fgure que l’on attend de la femme qui doit precisement faire bonne fgure, ni en ajustant le modele mais en detournant objets et gestes de cette feminite-la imposee.
Le montage perturbe la topographie du dedans autorise, en alternant sans logique de deplacement : la maison et une salle d’usine avec deux grosses machines circulaires en gros plans sans precision de leur pourquoi. La performeuse en robe- chemise courte, loin d’un costume de travail en usine ou a la maison, y tient un cor, elle le manipule, s’en coife ou soufe dans son embouchure sans en tirer un son. Elle experimente l’objet et sa forme. Elle opere, de meme, une investigation des objets de la salle de la maison ; parfois simplement, remplir d’eau un gobelet d’etain comme la carafe, et boire, parfois sans plus d’etonnement marque, se coifer ou tacher d’enfler un grand abat-jour, parfois chercher a atteindre celui accroche au plafond avec une pince se terminant par une main. Le glissement vers le non sens gagne l’amenagement ; certains meubles se doublent en symetrie ; la femme peut y etre assise et se doubler aussi.
Le temps reste arrete a 6 heures de la pendule mais la femme fait du temps, puisqu’elle agit et s’agite, tout en refusant la distinction du dedans et du dehors : elle se cache derriere le rideau de part et d‘autre de la fenetre et cela, parfois simultanement. De meme, elle avait rejoint cette piece en surimpression, spectrale avant de prendre une corporeite machine avant celle sur cet espace de paroles incomprehensibles.Le cor est instrument pour cette defguration volontaire de la femme telle qu’on la voudrait ; en revanche, elle lutte pour oter une cagoule imposee par etape jusqu’a la couvrir de meme qu’une longue chasuble qui emprisonne le corps. Elle penche sa tete, la forcant de ses mains, elle la remue encore s’aidant de ses mains ; de dos et de face parfois totalement enfermee. Sufoquant, elle parvient a oter ce carcan, elle respire sous des accords distincts de guitare se diferenciant de la sonorite constante... un chat surgit sans autre justifcation, sans mouvement d’elle.
L’artiste dit : La structure duelle de la pensee duelle fait que les composants qui l'ordonnent s'etablissent de facon bipolaire : esprit/ nature, esprit/ corps, blanc/noir, homme/femme, vrai /faux. Une hierarchie en decoule avec des signifcations, en termes absolus, tres partagees, correspondant au bien et au mal, au positif et au negatif, derives de ce principe, comme avec ces presupposes ideologiques. Ceuxd’une construction socioculturelle qui etablit un ordre social perpetuant la domination d'un groupe sur un autre.
SIMONE DOMPEYRE (directrice Recontres Traverse Video)

META_W

Polysemie ou ambiguite volontaire de ce meta, prefxe du au-dessus de, comme la metaphysique au- dela du physique, du metalangage necessaire pour analyser le langage, ce qui ne se peut qu’en langage ou du moins en langue... decryptage. Quant au W est-ce l’abreviation du code d’alerte informatique de page erronee ou celle du travail en physique. L’erreur peut-etre celle qui reclame le precedent travail et le travail W – une energie mecanique- consiste en un transfert d'energie, ayant pour seule cause le deplacement d'une force. Ceci implique que la force ait un potentiel.Il s’avere que ce travail performatif travaille pour le medium video forme reseau de ces signifes, porte dans une decision premiere qui pratique la theorie Judith Butler etablissant le lien entre les notions d’identite, de genre sexue- son gender- et la performativite.
La philosophe revisite la pensee de Derrida sur le processus citationnel qu’il juge constructif de l’identite. Elle argumente le genre comme forme acquise par des processus imposes par la societe et l’ideologie dominante et non un caractere lie au biologique. Ce qui est performatif puisque cree par un processus : « on ne nait pas femme on le devient » selon Simone de Beauvoir, on devient homme ou femme en repetant des comportements dictes selon une diferenciation homme/femme, et a cette distinction des roles s’adjoint une hierarchisation d’un « genre » par l’autre.Isabel Pulgar ne se deguise pas en conferenciere qui exhiberait ou caricaturerait une telle imposition, piste suivie actuellement par des performers de la parole ; elle poursuit son travail artistique en endossant un genre longtemps restreint a l’homme, le burlesque dans l’acception francaise du comique des flms premiers ; elle le fait diferemment de diverses artistes « femmes » qui desormais revendiquent la fgure du clown et du grimage.
Elle emprunte en realite a deux mondes celui du cinema des annees 20, quand l’invention d’une fgure du comique : Keaton, Chaplin, Sennett, Linder passe par celle du mouvement du corps et du costume, voire du maquillage pour le lunaire Harry Langdon, et celui du mime dont le langage est corporel ce a quoi le costume doit aider.Du flm, l’efet pellicule, des amorces reiterees parfois sur le plan et le recours au footage, fragments de danse gogo de 1955, de striptease de meme epoque, de jeune etudiante en uniforme sportif prete a etre pom-pom girls, ou de cours de bienseance. Le fonds Prelinger fait, simultanement, preuve des codes de beaute, de socialite et de prises de vue.
Du burlesque, l’efet pianistique avec point a point ou circularite du meme accord ; le petit choc sonore precis repris... Du burlesque, le corps qui se detache du lieu, comme le ferait une silhouette sur fond noir afn de rendre lisible les mouvements de corps.La performeuse accepte une telle gestuelle insolite car exageree mais fortement codee et demonstrative. Son burlesque n’est pas vain, il attaque l’imposition des roles.Elle ne l’adopte pas sans distanciation, pas de costume sexue plutot celui du mime au visage blanc et collant noir. On se souvient que les flms comiques ou les femmes avaient un role – jamais vraiment le beau- engageaient des hommes pour courir, faire tomber le chariot du vendeur de legumes, se creper le chignon quand s’attaquait l’image de la femme deputee.
La performeuse minaude, s’amuse de ses bras, se penche regardant son entre- jambes, glousse, recommence. Assise sur les degres d’une rue en escalier, elle mime la petite flle craintive ou faisant la timoree en echo a la succession de plans de fllettes dont la mimique souriante ou la moue plus retive en creux invitent a imaginer le hors champ regisseur et cause de celles-la.Son corps est evidemment celui d’une adulte, qui contrefait l’enfant. Boltanski avait adopte cette inversion de l’adulte faisant l’enfant, renversant la fonction sociale d’apprentissage de tels jeux chez l’enfant, son Portrait de l’artiste-Boltanski-en clown, conjugue en formes courtes, tres minimalistes, des actions derisoires ; mais il y insufait l’hantise de la mort. Il le reconnait “Les Saynetes comiques etaient plutot un travail sur le tragique. Je ne faisais pas cela pour faire rire, c’etait une oeuvre sur la condition humaine.”
Isabel Pérez del Pulgar ne monte pas des saynetes, elle refuse le lien narratif pour ne garder que des comportements emblematiques que precisement le burlesque afecte aux hommes. La temporalite n’est pas dirigee vers un but, mais circulaire, elle signale l’inachevement. Les lieux sont vides d’autre qu’elle, ils se cantonnent a une palissade a froler, un coin de rue ou se derober, un escalier sans fn qui se pretent a son mouvement. Moins souvent en interieur, avec un autre modele de prise de vue, celle des emissions televisuelles culinaires dont meme, la premiere en France dedia la fonction de chef de cuisine a un homme. Le plan frontal, plan taille, se focalise sur la table et le plat a preparer. Chacun des moments est signifant en lui-meme. Il est subversion de l’attente.Femme au foyer, joliment vetue, elle prepare le poisson, mais les visceres enleves gagnent la taille de ceux du corps humain et sont flmes en gros plan couleur realiste ; loin de les jeter et de « s’en laver les mains », elle en frotte son visage avec force et plaisir. D’abord, enfant sur l’escalier, elle les monte rapidement pour les redescendre laborieusement comme si handicapee, elle devait plier sa jambe afn de faire rejoindre la marche inferieure par son pied et ce jusqu’en bas.
En collant noir et gants blancs, dans la rue, elle gigote sur place sans but avoue, echappe a des poursuivants toujours absents, s’inquiete tete levee vers le toit de la chute d’un objet qui ne se produit pas, et regarde, dans les trois ! trous menages dans la palissade – pratique de voyeur que Cartier Bresson a capte comme l’un de ses « moments decisifs » ; pratique appreciee et deleguee aux hommes par les flms « a la serrure » pour voir le deshabillage de la mariee ou les baisers...
Le hors champ de META_W n’est pas une reponse a de tels desirs.Il decline les roles attribues a la femme, les ponctuant en leitmotiv, d’un gros plan d’une poupee ancienne au visage « maquille », et aux bras anime par pixilation.Il decrit les operations esthetiques que la femme endure pour correspondre aux canons. Loin de l’ellipse qui benefcierait a l’image du resultat, le montage precise l’acte ; il reitere les plans descriptifs, en plan rapproche, des gestes operatoires rhinoplastie triturant la narine ; de chirurgie de reduction du ventre ou de transformation des seins ; les outils et instruments divers de coupe, sciage et autres a usages « feminins » benefcient du champ total pour leur inventaire.
Le montage alterne rapproche, en plan moyen, la performeuse, en collant, et soutien gorge couvrant des annees 50 et usant de procedes ridicules pour atteindre la beaute imposee : rembourrage des bonnets par du papier froisse, entourage des cuisses, des fesses, des rondeurs par du flm alimentaire. Elle doit tirer, se contorsionner mais fait mine d’etre ravie du resultat quand elle ne sufoque pas ayant aussi enferme son visage. Les volets se ferment sur de tels eforts et reduisent le champ.D’autres flms sont empruntes decouvrant ce pour quoi, on demande aux flles d’etre « belles » ; pour divertir l’homme, la stripteaseuse souriante degrafe son corset, ce sous vetement contraignant pouvant servir au fetichiste lui fait face, en symetrie dans le plan. La danseuse du ventre, bouts des seins ornes, elle aussi se contorsionne, en un plan reitere, a jamais condamne a plaire, a s’eforcer de plaire, en musique endiablee comme elle !
L’autre versant du role feminin, devolu par ailleurs a une autre classe sociale, concerne le bien savoir se tenir- META_W pose ce second modele mais ne developpe pas la question societale de la cible, le propos est la feminite que l’on impose, que l’on peut grossierement resumer, en la femme mere ou pute. L’alternance des plans des deux types de sources du footage le signale : numeros de cabaret ou cours d’enseignement.Une suite de petites flles avec beau nœud dans les cheveux et mignonne robe, visage legerement penche refuse une geographie sociale, puisqu’elles fottent dans un sans lieu aux bords fous. Flotte de meme, en gros plan, un visage au chignon strict et parlant, sans que ses mots soient audibles ; elle entre dans son role d’enseignante alors que le champ ouvre le plan moyen pour la voir s’asseoir ainsi qu’il convient ; elle est la deuxieme a montrer le geste juste puisqu’aux sportives en gilet marque d’une universite ou d’un club, est montre comment tenir un ballon avec grace.Face a elle, des rangees de jeunes flles, reagissent comme les fllettes, diferemment, plus ou moins dubitatives, du moins par le regard, la mimique alors que les mains bien vernies reposent croisees sur les genoux couverts de la jupe. Elles sont l’accalmie que refuse le tempo trepignant de META_W
Elles sont la fureur qu’Isabel Pérez del Pulgar n’excite pas dans le reel mais excite en œuvres, prises de position metaphores ; elle ne se fait pas operer a la Orlan pour denoncer le poids social injonctif ; elle ne se transforme pas a coups de logiciel, ni n’avance masquee ; elle n’invente pas de monde meilleur, elle attise ici un « rire gendre » en corps burlesque, la une parabole de la condition feminine, la une poetique en corps choregraphique. Elle n’adopte pas le masque/persona romain porte par les acteurs, pour etre deesse ou une autre qu’elle, elle detache et se detache des modeles imposes et elle atteste, dans sa propre langue, que la formation de soi est processuelle, en acte/s, performative.
SIMONE DOMPEYRE (directrice Recontres Traverse Video)

ELEMENTO INESTABLE

El espacio dentro de las dinámicas del arte contemporáneo se ha convertido en una constante que genera diferentes momentos y maneras de comprensión. Entre las dinámicas más relevantes tenemos la relación que existe entre tiempo y lugar específico, en parte derivado del objeto encontrado, el cual supo convertir la ciudad en museo, pero más allá, la representación en una dupla entre escritura e imagen.
Aunque nos cueste aceptarlo y se debatan sobre su uso en el arte de hoy, de lo que se trata todo esto es de la representación. Seguimos representando por un impulso de complementación que atañe al individuo en medio de dos mundos, el interior y el exterior.
La representación entonces se producen porque a traves de ella, nosotros, los individuos, creamos situaciones de autocobijo en las figuras de espacios que en principio sirven para abrigarnos pero que funcionan como capas de protección ante las crisis, crisis derivadas del antiguo proyecto humano de apropiarnos de lo de afuera, mientras tratamos a toda costa de alejar lo exterior de nuestra intimidad. Aparece entonces la imagen como un algo capaz de ser llenado de situaciones que pertenecen al ámbito de semejanza. La necesidad consiste en representar todo aquello que conocemos que nos es familiar, con la intención de crear de manera ambiciosa y esperanzadora la completitud del animal- hombre o presencias integradoras.
La escritura, por su capacidad de construcción con potencia imaginativa también representa, pero no ya en la semejanza sino en lo que no es semejante. Me refiero que en el arte de hoy la escritura adquiere una capacidad transformadora porque usa el entramado de la intertextualidad para escribir lo que debería conformar nuevos espacios nido de preparación ante posibles confictos endógenos y exógenos.
En una defensa de trabajo de grado el profesor Jairo Montoya mencionó que la mímesis contemporánea tiene que ver con los mimos, es decir con la capacidad de mimar. Dicha consideración no le falta razón puesto que el animal hombre en todo momento deviene en construcción de espacios envolventes donde, precisamente la actitud mimética consiste en procurar cuidados compartidos para sí y para su especie.
El video arte de Isabel Perez del Pulgar participante en Curare Alterno titulado “Elemento Inestable (recuerdo, memoria, olvido )” , propone tránsitos entre espacios interiores pero ampliados donde es necesario realizar recorridos de autocomplementación o de cierre. Los recursos del video arte emplean la representación en tiempo y espacio a partir de la cual la escritura en lo diferente convierte lo propio en un algo reconciliador, ya que aparece la silla, elemento cultural de coopresencias en medio de atmósferas tanto extrañas como misteriosas.
Todo la propuesta se encuentra delicadamente elaborada con superficies compuestas por diálogos intersubjetivos en clave de recordación, acerca de la urgencia por llenar espacios vacíos en medio de una angustia neobarroca, que atañe sin lugar a dudas a una especie de geometría inmune.Se suceden acontecimientos escapistas dentro de arenas de comprensión, medio biológicas medio aritméticas, donde el lugar del arte aparece señalado por una herencia pictórica muy fuerte, no sólo por el tratamiento plástico de las transiciones y escenas, sino por la idea de representación fraccionada de un lenguaje otrora encriptado, ahora expuesto como posibilidad de transmisión en la desconexión.
Oscar Salamanca (artista y profesor Universidad Tecnológica de Pereira (Colombia)

 MUSIDORA (IrmaV.)   

COSA DEVO CHIARIRE?...”

Musidora e il Perturbante

[ Breton, Aragon, e il perturbante surrealista in calzamaglia di seta nera... “Avenir, avenir! Le monde devrait finir par une belle terrasse de cafe.”Musidora seduce e sfotte la Storia, che tanto al solito non capisce mai... Ma “il motto di spirito” e la Nascita della Tragedia troppo spesso si equivalgono: come gli urli e le risate nei film dei vampiri... ] (per Isabel Perez del Pulgar)*“... Avvolta nella calzamaglia di seta nera, gli occhi bistrati da femmina fatalequanto malavitosa, Irma Vep dalle ali di pece spalancate a fisarmonica, entrava dentro lo schermo proiettandosi in atmosfere fumose e profetiche”...Che strano e ruotante racconto, questo con cui Nina Maroccolo rende omaggio alla musa vampiretta dei Surrealisti: “Musidora”, leggesi Musidora (nome preso in prestito da una poesia di Gautier!), al secolo Jeanne Roques (Parigi, 1889-1957), fu dunque attrice regista, co-sceneggiatrice dei suoi film in piena epopea del muto, a partire dall’amata serie Les Vampires (1915-16) di Louis Feuillade... Un mondo malavitoso un po’ parodiato un po’ stilizzato come in un’atmosfera da futuro fumetto dark. Antieroina del Bello e bellissima soubrette alle Folie-Bergeres, gia studentessa di belle arti, amica di Colette, perfino romanziera (Paroxysmes; En amour tout est possible) fu insomma una donna colta e spregiudicata, giustamente cooptata – correvano i pieni anni ’20 – dai ragazzacci sodali del Surrealismo, instancabilmente tragi-umoristici, per incarnare le loro desiate e radicali pieces d’avanguardia, feroci e ridanciane al contempo.*Ma con l’avvento del sonoro tutto finisce – e la voce di Musidora rimane in fondo dentro, dietro il grande schermo... Emozionante che Nina oggi se l’inventi, ce la restituisca in fondo patinata, anticata d’epoca, ma anche in perfetto e rinnovato languore, erotismo e malessere di albeggiante, sferragliante futuro. Merito della poesia dei suoi gesti, di quel cupo corpo ombreggiato, mascherato, che sedimenta e titilla la fantasia. Merito del “perturbante” (superba, imperiosa e rischiosa categoria psicanalitica su cui tanto ci insegna il Prof. Freud! Il quale infatti, da poco terminata la prima guerra mondiale, dedico nel 1919 un intero saggio a Il perturbante – “Das Unheimliche”), che di continuo Musidora incarna e seduce, rappresenta e insieme rinnega, sconfessa – un “perturbante” esagerato ed esanime come le sue candide prede fanciulle, le colombelle borghesi in abito bianco e fiori d’arancio (lei ha la pelle, che sbuccia nuda, ghiotta, zuccherina ed aspra come arancia matura), imperdonabili di fatuita, ipocrite demi-vierges, le deflorate mezze-vergini del perbenismo domestico, che la vampiretta/vampirissima danna e condanna – si direbbe – entrandogli nell’immaginario e nei sogni, nel Malestremo sacrosanto dei loro piccoli incubi. “Ti mordo in bacio... E sono fiori di pietrisco le lacrime mie. Pesano nell’attraversarmi il viso da bambola di celluloide. Mi pesano, m’attorcigliano, mi liquidano nel muto melo...”*Ma il grande “coup de theatre” ce lo dona e propina la regista Isabel Perez del Pulgar, andalusa di Granada, maliosa, felina e sinuosa come Musidora, ma qui ancor piu madornale e dramatica, meglio d’un’eroina dannunziana giunta in ritardo sul passato ma in fiero anticipo sul presente, da un’imperscrutabile Citta Morta che riaccade solo di notte...Regista, nonche qui intrigante, plastica e ondeggiante performer, Isabel e strepitosamente capace di sovrapporsi a Musidora, di perseguire, guatare, risucchiare letteralmente la sua stessa immagine – duplice e univoca come un’ombra/luce di psiche, l’archetipo altalenante del bene e del male, l’angelica diavolessa che in Amore e forse ogni donna...“Ora rido! Mi diverto! Non fare l’errore di prendermi sul serio, petit cœur fragile. En amour tout est possible! E tu, sei il sogno negli occhi di una tortora nerovestita. »
Nina Maroccolo ha ragione, ed avevano ragioni i Surrealisti, cioe Aragon, Breton & Company, a richiederla come protagonista femminile, “Mad Souri” nel Tesoro dei gesuiti , una piece che non fu mai rappresentata (correva il dicembre 1928), ma che era certamente un capolavoro annunciato dell’umorismo noir, capace di mescolare insieme l’attualita e il meraviglioso, con dense trovate da music-hall (“s’ispirava” – ricorda Marcel Jean nell’Autobiografia del Surrealismo – “a un fatto di cronaca realmente accaduto, il misterioso omicidio, nel febbraio 1928, del cassiere delle Missioni straniere della Compagnia di Gesu, nel suo ufficio di rue Varenne a Parigi. L’assassino non fu mai trovato. Il denaro non era stato toccato, ma era scomparsa una cartella di documenti”...).Un capolavoro mancato, perche mai messo in scena, e dove invece c’era tutto quello che aleggiava in quell’Europa che gia scivolava, si perdeva verso le incipienti dittature e la futura orrida guerra... Parodiati, c’erano il Tempo e l’Eternita, Spettri, Automi, la Sincope e i Fantasmi, Manichini e Treni di periferia... C’erano valzer e casseforti, i Fatti di Cronaca, registri e la topa d’albergo in calzamaglia: Lei, “Mad Souri” alias Musidora alias Jeanne Roques... Il Tempo e l’Eternita – attenzione – nomati con la maiuscola, intesi proprio come pirandelliani, titubanti e pervicaci personaggi in cerca d’autore... L’Eternita che invocava ed ammirava la psicoanalisi: “Viva Freud, il grande scienziato viennese!”.E l’orchestra che avrebbe suadentemente suonato Old man river... *
Il finale e meta-letterario, come piace dire oggi – cioe romanzo nel romanzo, cinema nel cinema, psiche nel perturbante (o viceversa), luce (s)vestita d’ombra ed ombra immensa di riflettore... La Musidora che e in ogni Donna, quella stessa che ama, paventa ma cerca ogni uomo: feroce e languida, tigresca e infine soporifera, come ogni vera mascotte d’Eros: “Mio caro spettatore, non comprendo perche sono diventata un quesito. Cosa devo chiarire? E comunque, dovessi chiarire laddove e solo ombra, perche trascendere la domanda con un segno distintivo?”...Qui? Quoi? Quand? Ou?...Quanto al Perturbante, e davvero piu elegante e ambiguo (ma fascinoso anch’egli!) di un anticipato individuo a meta tra il beckettiano, apocalittico (e alienante) Mr. Godot, e lo scombiccherato, post- metafisico e per fortuna ludico Monsieur Hulot (ricordate la verve tragicomica di Jacques Tati?!). Il Perturbante, oui!: fidanzato ideale di Musidora, tormento goffo e invisibile, elegante conato d’intelletto, almeno quanto lei e concreta, danzerina creatura carnale... Inguainata del color nero caro ad Eros e ai negozietti di lingerie.*Isabel diventa Musidora, le entra entro e ne esce fuori, collima, si sovrappone e non resiste, ma la doppia all’unisono... Un viraggio in blue notte le accredita ogni gesta, gli occhi grandi aureolati dal rimmel piangono un altro po’ d’intenso: ma Isabel/Musidora guarda sempre in macchina, cioe fissa proprio noi... e intanto danza, apre le mani/ali, sfarfalla movenze, ali pipistrellate e orecchie tonde dell’unica Topolina “vera” che mai Walt Disney riusci a disegnare, forse a capire Donna...
La voce di Nina intanto la racconta, quest’eterna Musidora, mentre davanti a noi Isabel la smentisce, la accompagna ad entrarci dentro, ad atterrirci di un’infinita dolcezza... Non e forse cosi, non e questo, l’Amore? Ma In amore tutto e possibile! – e lo giura il perfetto, arrotato accento francese di un’altra amica di “Choral”, Anna Costalonga, voce inviata da Lipsia... Simil-parigina, briosa in falsariga (mutandina) da cafe chantant, pulviscolare di gioia!Le “Autobiografie Corali” cosi si cercano, si chiamano e solidarizzano. Splendida esperienza per un fare un’arte che deve metterle tutte insieme. Parole, immagini, scrittura, regia, voce, canto, disincanto... Non dimentichiamo quindi la Musica, di Vinz Notaro (talento giovane ma indiscutibile, coadiuvato dal “metallofono” di Anita Annunziata), musica che qui e trascinante, radicale e aspra d’ironia come quella fragrante piece “noir” surrealista... Questa, anzi, in cui la risata arcana e “perturbante” di Nina s’interseca con l’eco metallica...Marcel Jean, lui c’era, e se ne fa un cronista inoppugnabile: “Tavolini di un caffe con clienti seduti intorno hanno invaso il palcoscenico a conclusione dello spettacolo e Musidora, davanti al sipario che s’e appena chiuso, saluta il pubblico e pronuncia questa frase, che per un certo aspetto riassume la filosofia esistenziale del surrealismo:Avvenire, avvenire! Il mondo dovrebbe finire in una bella terrazza di caffe.***L’avvenire e qui, resta sempre immobile, corre e s’inclina e gira su se stesso, come la Terra che Tolomeo disse d’essere statica, ma non era vero, come non e quindi vero – ci scrive dallo spazio ultramondano Niccolo Copernico – che Musidora venusiana non parlasse, che ella si fermo al “muto”, che viveva solo di notte e che i suoi baci non fossero purissimi d’amore. Vampireschi, si, ma di che colore poi era quel sangue? Sangue fra rito e storia – nero fino al rosso, nero come i quadri e quadrati e rettangoli schermati, incastonati e clonati dalla musa lunare di Isabel, forse incognita ancella di Diana cacciatrice. Un nero virato ad libitum di biancori dolcissimi, in cui azzurro e rosa coincidono. E le parole delle sue lettere sembrano anch’esse radiazioni di cielo, effrazioni di cuore.Un Rosa e un Azzurro rapinosi, rapinati...
Come nei sogni che noi non ricordiamo, ma certo esistono – e non erano affatto in bianco e nero, oh no!, non avvenivano muti...
Plinio Perilli

Les songes d'Isabel 

Les boucles d’Isabel 


Fondées sur la répétition hypnotique, projetées à la Cinémathèque, à l’ABC et au Musée des Abattoirs-FRAC Occitanie, les trois vidéos programmées de l’artiste franco-espagnole Isabel Pérez del Pulgar entraînent dans la forêt de leurs songes.


Forêt à proprement parler avec la vision de Durmientes (Le Battement de la forêt) puisque les pas d’un enfant entraînent, dans la forêt bretonne, celtique donc, de Huelgoat, où il s’amuse à sauter ou à glisser de roche en roche. Avec lui, s’éveille une nature irréelle : les rochers s'y déforment, s’animent, se colorent, comme s’ils cherchaient à inciter à les douer de paroles, comme s’ils invitaient à un colloque muet. Ainsi s’instaure un rapport renouvelé avec la nature.


Lo salvage domesticado/ Le sauvage apprivoisé témoigne également de cet entremêlement du ludique et du féerique. Un être y paraît, narquois et facétieux, avec son masque de tigresse : il fait face, se blottissant dans un arbre et incite à passer à sa suite dans une exploration à la beauté toute stalkérienne que portent les emprunts en coda, du Requiem de Mozart. L’écran, cartographié, spatialement divisé en carrés par de simples tracés s’ouvre sur un champ dont le centre est bientôt occupé par un écran carré où un œil adressé fixe avant un cheval blanc puis la forêt où s’approche, malicieuse, la femme masquée. Des sons stridents et continus entrecoupés de bruits d’oiseaux, d’un meuglement annonçant le dromadaire tournoyant cèdent progressivement au Requiem mozartien. Une figure aux yeux recouverts, naïade plus moderniste, joue désormais avec un coquillage antédiluvien. De l’énigme des images naît la redécouverte du monde dans sa richesse subliminaire, subliminal, joyeuse.


La troisième en boucle à la Cinémathèque parmi les vidéos consacrées aux Sorcières, Comedia Bufa Espacios metaforicos, dite en sous-titre : "comédie burlesque", invite à rejoindre une maîtresse de cérémonie qui nargue depuis sa position de dominatrice, élégamment vêtue d’un inattendu smoking noir, au centre d’une pièce aux murs blancs, comme ceux d’un théâtre, rendus étranges par la vibration blanche de la lumière qui les cerne. Assise sur un grand fauteuil majestueux, les pieds placés sur un petit siège, tenant une grande canne de dandy, elle pose l’énigme de son visage recouvert d’un masque au long nez, semblable à ceux du carnaval de Venise ou de l'iconographie médiévale de la peste. Les coups de dés qu’elle lance impassible scande la cérémonie qu'elle porte seule. Les dés en sont jetés, des visions sont convoquées : celle d’abord d’un mur de portraits anciens de petites filles sages projetées sur les murs de la pièce, multipliés, celle de chevaux blancs, bientôt vus en négatif, enfin celle de deux jeunes femmes aux têtes recouvertes d’un sac-cagoule qui les anonymise et de collants qui, tout en les sexualisant plus encore, en font les officiantes prisonnières de cette curieuse cérémonie. Enfermées dans des cercles de craie tracés au sol, l’une agenouillée, l’autre debout, elles sont prises dans une chorégraphie torturée par laquelle elles cherchent à se défaire de ce qui les a empêtrées. Les altérations de la pellicule, la soudaine disparition de la maîtresse de cérémonie rendent plus inquiétante, l'atmosphère alourdie encore par les crissements et les battements de la bande-son. De quelle métaphore libératrice la boucle est-elle porteuse, sinon de ces espaces dont la femme doit se libérer ? C’est du moins la suggestion de la vidéaste lorsqu’à la vision d’un corps nu de femme attachée au fardeau de la chaise que l’on a enchaînée dans son dos, se substitue dans la mémoire du regardeur celle de l’éparpillement de la craie enfin épandue au sol, se délivrant ainsi du cercle où, précédemment, les deux jeunes femmes étaient retenues. La pellicule, striée de chiffres, de rayures, de griffures donne à nouveau rendez-vous avec la maîtresse de cérémonie, dans sa solitude portée par le crissement de la musique, ses battements réguliers, les flashes intermittents de la lumière pour se clore sur la vision énigmatique des deux chevaux qui lentement gagnent le noir du générique : hypnotique vision hallucinante d’un vidéo interrogeant les rôles assignées aux femmes, de celui de la fillette sage au cou penché à celui de l’objet de quelque scénario « sexuel » qui l’esclavagise. Ainsi Comedia Bufa interroge en évitant les pièges d’un inutile moralisme.


Didier Samson


Engranaje 

« Partout ce sont des machines : des machines de machines avec leurs couplages, leurs connexions. Une machine-organe est branchée sur une machine-source : l’une émet un flux que l’autre coupe. », 

Deleuze et Guattari, L’Anti-Œdipe. 


Que la vie la plus élémentaire, animale, soit soumise à un ordre inéluctable, le premier plan du film l’exprime avec une beauté fascinante, éprouvante : une horde de flamants s’ébroue, ils plongent leur long cou dans les profondeurs d’un étang pour chercher leur pitance, les redressant ensuite avant d’à nouveau replonger leur tête vers la surface aquatique. Derrière la beauté de ce plan se dissimule, pour qui sait, veut voir, cet instinct, cette obligation qui les conduit à répéter leurs gestes en une bande incessante, en un mouvement sans cesse repris. Derrière la beauté des plans et du montage et leur surexposition, se lit le caractère inexorable, infrangible de ces processus dont elle accuse le caractère « totalitaire » voire panoptique, dès lors qu’un regardeur leur est confronté. De ce dernier opus d’Isabel Pérez del Pulgar, découvert d’abord en projection à la Cinémathèque de Toulouse, puis en tant qu’installation à l’Ancien Réservoir de Guilheméry, le titre est suffisamment explicite pour dévoiler les interrogations répétées de l’artiste face au contrôle qu’exercent sur l’humain et la vie, les mécanismes qui les régissent. Ce que l’on nomme instinct, instinct grégaire chez les flamants, n’a pour équivalent en beauté que les superpositions, les déplacements de plans, les effets de miroirs de ce montage assuré. « Car le beau n’est que le commencement du terrible », écrivait Rilke. Et c’est bien la part dévolue à l’humain que suggère le terrible plan en plongée de cet homme esseulé, écrasé sur un plongeoir, protégé anonymement de son seul bonnet de bain, enserré dans un quadrilatère quasi carcéral, écrasé par le dispositif qui l’enferme et le contraint à une prostration d’être soumis à des lois qui le dépassent, à des mécanismes de contrôle et de surveillance qui lui dénient toute liberté. Au-dessus de lui ou sur lui, figurent les formes triomphantes des lois qui le régulent et l’observent : règne inextricable d’un dispositif mécanique, électrique dont les électrodes suivent les courbes parfaites de leur cycle : en boucle, des électrodes s’approchent de leurs pôles, s’arrêtent à quelque infime distance d’eux pour repartir en sens contraire. Ailleurs, des diagrammes se superposent à la vision répétée d’un plan de tempête marine : ainsi, des organes de visée, de contrôle, se superposent-ils à l’image de la vie la plus tumultueuse. À la froide rigueur qui structure cette organisation des plans avec lesquels l’artiste compose sa partition – en fait, elle répète, superpose, déplace en miroir, une palette de plans – répond l’imperturbable et sourde composition musicale empruntée à Lynceus de Méryll Ampe de son disque Women in Experimental, long plan-séquence d’une matière sonore froide et éraillée faisant s’éprouver la densité de sa matière sonore. Cercles, quadrilatères, diagrammes, écrans s’adjoignent aux flamants, à la vision d’un être humain esseulé, seul sur un plongeoir, prisonnier d’un dispositif géométriquement rigoureux, proche d’un système en croix. Avec cette démultiplication des écrans et des vues, de leurs translations, Isabel Pérez del Pulgar inscrit au cœur de la vie, les effets fascinants et effrayants des « systèmes » qui la régissent, la prennent dans leurs viseurs, la surdéterminent. Comme elle le commente : « La machine est un système de systèmes. Et le système est un module ordonné d’éléments. Tous ces éléments constituent un corps, une machine qui fonctionne dans la mesure où il y a intégration et coordination entre tous les systèmes ordonnés qui la composent. Pour cette coordination, il est nécessaire que chaque élément qui compose le système accepte son rôle au sein des engrenages qui font bouger la machinerie. Contrôle, soumission, acceptation. Chaque élément observe et est observé. Symptômes d’une machinerie panoptique, qui crée et entretient une relation de pouvoir sans rapport avec l’élément qui l’exerce ». Le ballet systémique qu’est son film confronte à cette vision singulière, belle et terrifiante tout à la fois, inexorablement recommencée et perpétuée comme ballet de flamants sous la lune, tension entre le vivant et sa riche structure « mécanique », tension entre la rigueur du montage et la beauté formelle des plans, entre rigueur mathématique et liberté formelle de l’assemblage, de l’engrenage. Et froidement, sourdement s’énonce ainsi, sans doute, un appel à ne pas se résoudre à l’inacceptable de la servitude volontaire. 


Didier Samson


Un androïde peut-il rêver ? 

Le mot « androïde » assemble ἀνδρός / andrós l’homme et εἶδος / eîdos la forme soit aussi l’idée par opposition à la matière, afin de distinguer de l’homme, cette création à laquelle on donne la forme humaine ; désormais l’avancée technologique produit des androïdes équipés de mécanismes robotiques sous des êtres d’apparence humaine. Cela nourrit le champ du possible artistique d’Isabel Perez del Pulgar qui attribue la capacité du rêve à cette créature et dès lors, le sommeil paradoxal durant lequel le cerveau crée ce rêve, les yeux alors en mouvements oculaires rapides attestant qu’il le fait en images. Il rendosse le costume de La Salvaje domestica et de sa Comedia bufa espacios métaforicos, adopte l'œil en mouvement et les figures géométriques se superposant au champ des actions de l’hybride. La logique du cercle suit les déplacements du cœur au sens matériel, interne et externe au corps, dans cette attestation de l’impossible dissociation. Ovoïdal, il bat, qu’il soit posé sur le tapis élimé près de la femme-androïde aux traits d’Isabel qui y engage son corps, qu’elle le cherche dans sa poitrine sans geste cruel, ni sang – le film préfère le noir et blanc – mais en réaction à un mal au cœur, sans cause exprimée, il peut signifier le refus du corps d’une telle transplantation ou le poids de ce que le cœur subit au quotidien. Il bat qu’elle le tienne ou le dépose. Il reste sa trace en fin de ses diverses transplantations près de deux autres objets-organes tirés de son corps, et qu’elle porte d’abord en bijou de poitrine métal, rond de machine à écraser les légumes et tige recourbée ressemblant à l’appendice nasal du masque de la Bufa. Des traces d’histoire de la femme-androïde, sans mots dits. La seule trace écrite est celle du binaire, du programme censé avoir présidé à la « naissance de l’androïde », en superposition, en déroulé, il rappelle la source informatique comme le fait le scan subreptice traversant rapidement le champ.


Le cercle, seul ou en duo, y reprend son ascendance qu’il entoure l’œil dont il duplique la rotondité, qu’il vague jusqu’au visage de la prêtresse-androïde ou l’enserre en entier ou qu’ils connotent l’espace en se mouvant simple trait fermé, qu’ils entourent des visages en situation de photographies d’identités, eux-mêmes tournant sur eux-mêmes. Elle s’arrache aussi l’œil non afin de ne pas voir l’impensable mais inversement afin de changer le regard puisque «  il n’est pas suffisant de placer un matériau nouveau devant de vieux yeux » comme déjà, le recommandait Eisenstein et Le Chien Andalou, celui-ci par la métaphore du cruel rasoir traversant l’oeil. Lancinante dans l’aigu, la musique assemble ses tentatives, formant un monde à côté, un monde exclu du quotidien.


Ainsi cet androïde ayant subi les mêmes contraintes que l’homme parvient, quant à lui, à s’en défaire, du moins à mimer le désir de s’en évader et du moins en rêve.


Les vêtements abandonnés près des organes-outils en seraient l’assurance puisque l’être-humanoïde, l’homme-machine/ l’homme peu libre s’en dépouille.

Simone Dompeyre